Editions du Seuil, collection Roman Noir, 2011
Editions Points, format poche, 2012
Coup de coeur pour ce bouquin lu en 2013.
Carole Matthieu est médecin du travail dans un centre d'appel. Son quotidien ? Recevoir les salariés, les écouter, les soigner ou du moins tenter de le faire, car dans son monde, tout n'est que souffrance voire mise à mort de sa propre vie.
Le taureau est dans l'arène, faites entrer les toréadors.
Bienvenue au coeur des temps modernes où une préparation méticuleuse, une organisation secrète à la surconsommation lancent les dés depuis bien longtemps.
Bienvenue dans le cercle des restructurations permanentes, des mises au placard à la mode de chez nous, du harcèlement parce qu'on le vaut bien, du management de haute voltige.
Vous...n'avez...pas...atteint...les...objectifs...prévus...stop.
Burn out...burn out... On ne connaît que trop cette ritournelle.
Vous avez dit cancers ? Stress ? Angoisses ? Insomnies ? Accidents du travail ? Divorces ? Suicides ? C'est le prix à payer pour faire fonctionner l'économie.
Marin Ledun nous embarque dans l'enfer de ce médecin, réceptacle de toutes les souffrances rencontrées et accumulées sans prise de distance, sans filet. Juste en faisant son boulot.
Maladies du corps, maladies de l'âme, les unes visibles, les autres pas. Les unes relevant du médecin du travail, les autres surtout pas. Ce qui se passe dans la tête ne doit pas entrer dans l'entreprise. Ne pas faire de vague , ne pas se suicider...ça pourrait nuire à la grande maison. Carole Matthieu ne l'accepte pas et refuse d'être celle qui ne prend que la température du corps. Elle classe, trie, accumule les expertises médicales pour en déceler la température psychique. Impuissance, colère.
Elle aurait pu faire comme les autres. Vivre à côté de la souffrance et l'oublier le soir, se contenter d'écouter les salariés sans y impliquer son corps et sa tête. Elle a choisi de tuer.
Thriller "socio-économique", roman choc excellemment écrit, qui devrait être lu par tous les requins aux dents longues dont la vie n'est qu'un gigantesque management des autres. Ces autres qui subissent, étouffent et finissent par se passer la corde au cou.
"Pour survivre depuis 150 ans, l'industrie s'est toujours attachée à organiser le travail. Et donc à trier les hommes avec soin. Une sorte de sélection sociale. Une procession morbide de fidèles, de soldats et d'esclaves. Chaque dieu, maître ou théoricien, a contribué à sa façon à la grande machine, à coups de miracles, de lois divines, de règles de fonctionnement, de découpages de tâches, de coups de bâton et de pointeuses." (extrait)
"Les morts ne sont jamais qu'une variable d'ajustement. Et tant mieux s'ils favorisent l'essor de l'industrie et si leur sang a coulé dans ses fondations - elles n'en seront que plus solides. " (extrait )
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19 mars 2014: Un article de Marin Ledun dans Libé des écrivains
"Orange: les morts pour le dire" .